16 janvier 2023

Quelles sont les principales tendances énergétiques pour 2023 et comment la technologie peut-elle nous aider à opérer une transition vers un monde sans carbone ?

Nous nous sommes entretenus avec Thomas Gibon, chercheur au département d’« évaluation de la durabilité du cycle de vie » au sein du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), qui nous a donné son point de vue ainsi que cinq conseils utiles pour vivre de manière durable tout en faisant des économies.

1. En termes de technologies, quelles sont les principales tendances énergétiques que vous prévoyez pour 2023 ?

Au niveau mondial, les énergies éolienne et solaire continueront d’être déployées à des taux sans précédent, sans doute supérieurs à 200 GW de capacités supplémentaires en énergie solaire et à 100 GW en énergie éolienne (voir graphique). Toutefois, ce n’est toujours pas suffisant :

1. Les taux d’investissement, même s’ils ont doublé depuis 2015 (passant de 350 à 700 milliards/an), doivent encore tripler d’ici 2030 (selon l’Agence internationale de l’énergie) si nous voulons atteindre nos objectifs mondiaux de zéro émission nette,

2. comme l’hiver actuel nous le montre cruellement, l’intermittence se produit encore, ce qui conduit l’Europe à compter sur le charbon et le gaz : les investissements dans le stockage et la flexibilité sont essentiels et ne sont de toute évidence pas encore à la hauteur de la tâche,

3. en général, 80 % de l’énergie que nous utilisons est encore fossile. Nous devons électrifier les utilisations à mesure que nous décarbonons la production d’électricité.

2. Comment voyez-vous l’évolution des prix ? En d’autres termes, quel approvisionnement énergétique coûtera cher et lequel sera rentable ?

Le paradoxe actuel est que les coûts des énergies renouvelables continuent de baisser, mais que le prix de l’électricité continue d’augmenter. Pour comprendre cela, il est important de savoir que le prix de l’électricité d’un réseau est fixé sur les coûts du producteur marginal de ce réseau (c’est-à-dire la centrale électrique produisant le prochain kWh), qui se trouve souvent être du gaz naturel, dont l’approvisionnement est limité pour le moment. L’électricité devrait rester chère en 2023.

En outre, la production des énergies renouvelables est minime pendant les journées d’hiver sans vent, et compte tenu des difficultés rencontrées dans la production d’électricité de base (alors qu’une partie du parc nucléaire français est en maintenance), la dépendance au charbon et au gaz fossile maintient les prix (et les émissions de CO2) élevés. Le réseau de 2023 sera également privé d’une part de l’énergie nucléaire bon marché (La France connaîtra encore des épisodes de maintenance, l'Allemagne est presque sortie du nucléaire et, bien que la Belgique ait décidé de reporter de 10 ans sa sortie du nucléaire prévue pour 2025, la production d'énergie nucléaire a déjà été réduite), ce qui va également maintenir les prix à la hausse.

Dans une perspective plus large, je pense que nous commençons à nous rendre compte que l’électricité n’est pas une marchandise comme les autres (vous ne pouvez pas la stocker, et vous devez toujours faire correspondre la production et la demande). Le mécanisme actuel de tarification n’est probablement pas adapté parce qu’il génère des fluctuations importantes et ne favorise pas les investissements à long terme.

C’est ce qui conduit certains experts à avancer que l’électricité est trop importante pour être laissée aux mécanismes du marché et qu’elle doit être réglementée en tant que bien public, de manière à permettre des investissements à long terme qui pourraient assurer un approvisionnement en électricité bon marché et fiable à l’avenir.

Les marchés de l’électricité font actuellement preuve de myopie, ce qui est un problème puisqu’aucune décision à long terme ne peut être prise dans un tel contexte.

3. Comment les prix vont-ils avoir une incidence sur le comportement des consommateurs dans le monde entier ? Peut-on espérer un monde sans carbone d’ici 2050 ?

À bien des égards, l’énergie n’est pas élastique : les gens ont besoin de carburant dans leur voiture pour se rendre à leur travail, et chauffer leur logement n’est pas vraiment un choix non plus. Depuis longtemps, nous sommes habitués à une énergie abondante et bon marché, si bien qu’une augmentation des prix nous paraît injuste. Je pense que beaucoup de gens ne se rendent compte que maintenant que l’énergie est nécessaire dans tous les aspects de notre vie.

L’avantage est que nous parlons enfin sérieusement de mesures de sobriété qui peuvent conduire à des économies substantielles d’énergie, comme la baisse des températures de chauffage ou une conduite plus lente, avec des économies potentielles de consommation d’énergie de plus de 10 % chacune.

Bien que l’espoir soit naturellement d’éliminer les émissions de carbone d’ici 2050, les implications en termes de politique, de changement technique et de comportement sont énormes – et pour être complètement franc, pas bien comprises.

Au Luxembourg, l’empreinte carbone moyenne d’un résident est d’environ 15 t eq.CO2/an. Si nous voulons la réduire de plus de 80 % d’ici 2050, cela signifie non seulement que notre système de production doit être beaucoup plus propre, mais également que les modes de consommation devront changer radicalement :

  • manger moins de viande (qu’elle soit locale ou pas n’a même pas d’importance),
  • prendre moins l’avion voire pas du tout,
  • rénover votre maison et choisir un système de chauffage non fossile,
  • conduire une voiture plus petite (si possible électrique).

Il s’agit de décisions personnelles que seuls les citoyens peuvent prendre. Les efforts requis de la part de toutes les parties concernées (pouvoirs publics, entreprises, citoyens) doivent être complets et coordonnés.

Ils exigent un changement culturel en passant de l’individualisme à une pensée collective, plus large et plus systémique.

4. Que prévoyez-vous pour le Luxembourg ? Quelles sont les énergies renouvelables gagnantes en 2023 ?

Toutes les énergies renouvelables sont gagnantes !

Premièrement parce qu’il ne s’agit pas d’une compétition. Toutes les sources d’électricité renouvelables sont les bienvenues sur le réseau,

et deuxièmement, les énergies renouvelables sont très loin d’être la principale source d’électricité, et encore moins d’énergie. La course ne fait que commencer et c’est un marathon, pas un sprint.

Nous devrions bien sûr investir autant que possible dans l’éolien et le solaire, mais leurs parts ne seront pas importantes en 2023, ni même en 2025. Par conséquent, à moyen terme, le principal enjeu sera probablement de maintenir notre électricité à faible émission de carbone pendant que nous déployons des énergies renouvelables. Pour y parvenir, nous devons regarder en dehors du Luxembourg, puisque le pays ne produit que 15 % de l’électricité qu’il consomme.

Selon l’ILR[1] et l’opérateur de réseau européen (ENTSOE), en 2021, la principale source d’électricité[2] pour les ménages luxembourgeois était l’énergie éolienne allemande (700 TWh), suivie par le lignite allemand (charbon brun, 630 TWh) et l’énergie nucléaire belge (570 TWh)[3].

Dans la mesure où 2023 sera marquée par la sortie du nucléaire de l’Allemagne et par la fermeture de deux réacteurs en Belgique, la question est de savoir si les capacités renouvelables supplémentaires vont combler le manque. Bien que les deux pays aient des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables, la Belgique a reconnu qu’elle devra continuer de fonctionner avec du gaz naturel dans les années à venir, ce qui va augmenter de fait les émissions de carbone – et par conséquent également celles du Luxembourg si nous continuons d’importer de l’énergie de Belgique.

L’Allemagne est en meilleure position, car elle vient d’établir un record en matière de production d’énergie renouvelable en 2022. Toutefois, elle n’est toujours pas sur la bonne voie pour atteindre son objectif de 2030 en matière de production d’énergie renouvelable[4].

 


[1] Institut Luxembourgeois de Régulation

[2] en termes de technologie par pays

[3] La France n’est connectée qu’à des sites industriels

[4] https://www.cleanenergywire.org/news/germany-sets-renewable-power-record-2022-track-2030-target

5. Quels sont les cinq conseils utiles que vous donneriez à nos lecteurs qui souhaitent vivre de manière durable et faire des économies ?

Si par « durable » nous entendons « bas-carbone », voici les conseils que je donnerais :

Les 5 conseils utiles : 

1. Voitures : évitez d’utiliser des voitures individuelles, envisagez le covoiturage ou conduisez une voiture électrique. Cela permet de faire des économies presque immédiatement.

2. Chauffage : si vous dépendez du mazout ou du gaz pour vous chauffer, envisagez d’installer une pompe à chaleur ou un poêle à granulés. Si votre maison n’est pas correctement isolée, envisagez une rénovation. Vous ferez des économies à long terme.

3. Viande (en particulier rouge) : réduisez votre consommation de viande. Peu importe que votre bœuf vienne du Brésil ou du Luxembourg, car la plupart des émissions de gaz à effet de serre se produisent au stade agricole. C’est mieux pour votre portefeuille, votre santé et les animaux.

4. Voyages : Le train plutôt que l’avion. L'achat de compensations de carbone pour vos vols est mieux que rien. Toutefois, il n'est pas facile de se soustraire aux émissions de gaz à effet de serre..

5. Achetez de l’électricité verte par le biais d’un contrat approprié, c’est-à-dire un contrat effectivement lié aux investissements dans l’énergie renouvelable (par exemple, « nova naturstroum » d’enovos ou « Terra invest » de Sudstroum). Évitez les contrats reposant sur des « certificats verts », qui n’ont aucun effet sur l’augmentation des capacités de production d’énergie renouvelable.

À propos du blog : 

 

Il devient urgent d’opérer une transition rapide vers une durabilité environnementale à l’échelle mondiale. Les entreprises et l'industrie ont d'énormes impacts sociaux et environnementaux. « Pourquoi est-ce important ? »  est un blog bimensuel qui vise à éclaircir ce sujet important à travers le regard de nos experts.


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