L’économie mondiale : des attentes de croissance dégradées dans un monde incertain Analyse économique - Octobre 2022

Un nouveau trimestre marqué par la volatilité sur les marchés financiers vient de s’écouler. Les thèmes communs aux économies mondiales continuent d’occuper les esprits : l’inflation,  les craintes de récession, la remontée des taux, le renforcement du dollar, la crise énergétique. Si tous ces phénomènes sont vécus à différents degrés à travers la planète, ils affaiblissent clairement les perspectives économiques.

Face à ce contexte difficile, les marchés financiers n’ont pu rester indifférents : les actions globales perdent 13% depuis le début de l’année et la remontée des taux a poussé le marché obligataire dans sa pire performance annuelle depuis des décennies.

Tous ces obstacles entament la confiance des ménages et des entreprises. Ainsi, les indicateurs précurseurs continuent d’afficher des attentes de croissance en repli pour l’année prochaine, ce que les grandes institutions confirment dans leurs prévisions économiques. D’ailleurs, durant l’année, les perspectives 2023 pour les économies développées ont constamment été revues à la baisse. En effet, elles sont passées de plus de 2% en début d’année à moins d’1% d’après le consensus économique global. Qui plus est, certaines institutions commencent même à tabler sur une croissance négative pour les économies développées.

Les indicateurs économiques continuent de se détériorer

ISM Manufacturing US

Source : Refinitiv Datastream

Par exemple, au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre s’attend à une longue récession de de plus d’un an. Si la Fed et la BCE affichent encore des chiffres positifs pour leurs propres économies, soulignons que certains acteurs du marché voient déjà une croissance négative, surtout en Europe.

Malgré les signaux de ralentissement et les craintes de récession, les banques centrales n’ont pas l’intention de relâcher leur politique de hausses de taux face à une inflation qui s’avère plus rigide et plus durable que prévue.

La Fed notamment remonte ses taux directeurs à une vitesse inégalée depuis plusieurs décennies : elle a déjà effectué 300 points de base de hausse de taux depuis mars. La BCE lui a emboîté le pas en relevant ses taux directeurs de 125 points de base jusqu’à présent. Certes, la BCE a été plus lente à agir face à l’inflation, mais ses messages sont désormais très clairs et s’engagent dans la même direction.

Il n’est pas surprenant que les perspectives de croissance se retrouvent profondément perturbées par ces hausses de taux. En effet, pour faire ralentir l’inflation, les banques centrales réduisent l’activité économique en calmant la demande. Nous sommes ici au cœur du débat sur la capacité des banques centrales à faire reculer l’inflation sans pousser l’économie en récession : l’atterrissage se fera-t-il en douceur ou pas ? Du reste, l’inflation ne reculant pas pour l’instant, la probabilité qu’il se fasse en douceur ne cesse de diminuer. Dans ce contexte, si les États-Unis nourrissent l’espoir d’avoir atteint le pic d’inflation, l’Europe n’en est pas là : l’inflation devrait continuer de grimper encore quelques mois. Quoi qu’il en soit, l’inflation se situe très clairement à des niveaux très lointains et inacceptables pour les banques centrales, leur objectif d’inflation annuel étant de 2%. L’inflation se rapproche actuellement des 10%, très loin de ce que les institutions visent, ce qui justifie leur ton décidé et les raisons de le maintenir pendant encore une certaine période. Sans surprise, cela fait grimper les risques de récession.

Le billet vert triomphe.

Dans un environnement compliqué où les différentes classes d’actifs souffrent, un actif se distingue : le dollar américain qui s’est renforcé d’environ 15% depuis le début de l’année. En effet, ses vertus  de valeur refuge s’affichent au grand jour face aux devises qui peinent à rester attractives en période inflationniste et de relèvement des taux aux États-Unis. Les taux réels (ajustés des attentes d’inflation) américains connaissent une hausse fulgurante, avec un niveau de 1,50 % fin septembre sur le taux à 10 ans. Face à cela, l’euro est dans l’embarras en raison des difficultés économiques liées au conflit russo-ukrainien. En même temps, la livre sterling capitule face au dollar, notamment après l’annonce de plans de relance budgétaire et une baisse d’impôts radicale. Dans ce cadre, la banque d’Angleterre doit jouer à l’équilibriste entre remontée des taux directeurs et rachats d’obligations à longue maturité.

Au Japon, la banque centrale maintient sa politique monétaire accommodante (taux directeur à -0,10%) en dépit des remontées de taux globales. La Banque du Japon compte bien garder ses taux à des niveaux historiquement faibles, mais c’est sa monnaie qui en fait les frais.

Taux d'intérêt directeurs globaux (en %)

Japon
États-Unis
Royaume-Uni
Zone euro

Source : Refinitiv Datastream

Mouvement global de remontée de taux : les banques centrales dans la tourmente

À travers le globe, les banques centrales sont contraintes d’agir pour dompter l’inflation. Leur objectif : conserver des attentes d’inflation ancrées à des niveaux sains. En effet, elles estiment que l’inflation peut rapidement devenir un phénomène qui s’auto-entretient : plus l’inflation actuelle est élevée, plus les attentes d’inflation pour les périodes à venir risquent d’être accrues et les attentes finissent par se concrétiser. C’est ce scénario que les institutions redoutent surtout.

Le véritable défi réside dans le fait de devoir affronter cette inflation dans une période de ralentissement économique globalisé. Outre la lutte contre l’inflation, chaque banque centrale se retrouve aussi obligée de défendre sa monnaie nationale face à l’appréciation mondialisée du dollar car une monnaie domestique trop faible alimente continuellement les risques d’inflation. Dans un schéma plus classique, cette situation est propre aux pays émergents. Aujourd’hui, nous observons une dépréciation remarquable de l’euro, de la livre sterling et du yen japonais.

Le cas du Royaume-Uni parle de lui-même, car les taux obligataires se sont envolés après l’annonce des mesures de soutien budgétaire à l’économie. Afin d’éviter une déroute complète des taux et un défaut des fonds de pension, la Banque d’Angleterre a dû massivement intervenir sur le marché obligataire en annonçant un programme de rachats illimité d’obligations souveraines à longue échéance. Le Royaume-Uni se retrouve ainsi avec un policy-mix très original : la politique budgétaire est expansionniste malgré l’inflation, la politique monétaire est à la fois restrictive via la remontée des taux directeurs et expansionniste avec des rachats d’obligations à longue échéance.



Europe vs États-Unis

Même si les faiblesses économiques frappent le monde entier, la distinction entre l’Europe et les États-Unis peut toujours se faire car la situation sur le Vieux Continent présente davantage d’incertitudes.

Sans surprise, l’Europe est plus vulnérable face à la situation en Ukraine : les questionnements liés aux prix des matières premières, de l’énergie et aux livraisons de gaz sont l’épée de Damoclès au- dessus de l’économie européenne. C’est pourquoi les incertitudes sont larges autour de la croissance européenne : la BCE préfère donner une fourchette de croissance allant de -0,9% à +0,9% pour 2023.

L'inflation dans les pays de l'OCDE (en %)

Inflation
Inflation sous-jacente

Source : Refinitiv Datastream

Aux États-Unis, même si l’inflation demeure en tête de liste des sujets de préoccupation, beaucoup d’analystes osent espérer que le pic est derrière nous et que les chiffres d’inflation annuels vont progressivement s’installer sur une pente descendante. Certes, prévoir est devenu très difficile dans un cadre incertain, mais la trajectoire semble plus lisible qu’en Europe. Toutefois, notons que pour les États-Unis aussi, l’objectif d’inflation à 2% est pour l’instant très loin.

L’autre point fort des États-Unis est son marché du travail extrêmement dynamique.

En effet, les travailleurs se permettent de changer rapidement d’emplois, de négocier des salaires plus élevés dans une période de pénurie d’employés. Autrement dit, le marché du travail est particulièrement tendu, avec approximativement 2 emplois vacants pour une personne au chômage, ce qui fait croître les salaires à un niveau annuel de plus de 5%.

Moins vulnérable face aux aléas économiques globaux, son taux de chômage se situant à un niveau extrêmement faible, l’économie américaine semble plus à même de naviguer cet épisode de turbulences que traverse l’économie mondiale. Enfin, la guerre en Ukraine continue d’occuper les esprits, et l’appel à la mobilisation en Russie est un signal inquiétant d’enlisement du conflit. Par ailleurs, les sources d’énergie continuent d’être un enjeu majeur, en témoigne le possible sabotage des gazoducs Nord Stream reliant la Russie à l’Europe.

Les marchés

Dans un environnement macroéconomique particulièrement complexe, l’appétit au risque continue de faire défaut sur les marchés financiers.

À l’issue de ce troisième trimestre, les marchés actions globaux ont affiché une performance proche de 0% après un deuxième trimestre à -10%. Cela porte la performance annuelle à -13 %.

Un rally significatif de +16% a été observé sur les marchés actions cet été entre juin et août, puis la quasi-totalité de ces gains ont été effacés sur la période allant de mi-août à septembre.

Deux grandes raisons se trouvent à la source de ce rally. La première a été la résilience des résultats d’entreprises publiés pendant la période. La croissance annuelle des bénéfices au deuxième trimestre a été de 8 % aux États-Unis pour le S&P 500 et à 30 % en Europe pour le Stoxx 600 d’après Refinitiv. Il existe un léger recul par rapport au premier trimestre où nous avons observé +11 % aux États-Unis et + 42 % en Europe, mais les résultats restent très bons par rapport aux anticipations.

Indices actions globaux (en EUR)

S&P 500
Euro STOXX 50
Nikkei 225
MSCI Emerging Markets

Source : Refinitiv Datastream

Cela dit, ces bons résultats sont à relativiser car l’énergie a été un des principaux moteurs de cette croissance des résultats. Sans l’énergie, la croissance des résultats passe à -2% aux États-Unis et à 9 % en Europe.

Par ailleurs, ces chiffres sont également favorisés par l’inflation car les résultats ne sont pas corrigés de la hausse des prix. C’est pourquoi, au-delà des bénéfices, ce sont les marges qui importent dans un tel environnement. Si elles sont toujours bonnes (10% aux États-Unis et 8% en Europe), elles s’inscrivent en déclin par rapport au trimestre précédent et la détérioration économique qui se profile devrait continuer de réduire ces marges. À ce niveau, les entreprises se sont montrées de plus en plus prudentes dans leurs prévisions pour le reste de l’année et pour 2023.

L’autre raison de ce rally d’été se matérialise dans l’attente de banques centrales moins agressives dans la lutte contre l’inflation. En effet, les marchés avaient fortement intégré un « pivot » des institutions, notamment de la Fed qui ferait machine arrière mi-2023 en raison des répercussions des resserrements de taux sur l’économie.

Toutefois, ces aspirations ont été violemment balayées par les discours des banquiers centraux au symposium de Jackson Hole où il a été clairement communiqué que les politiques monétaires avaient pour unique objectif de faire ralentir l’inflation, « … quitte à infliger une certaine douleur » à l’économie. Cette douleur se traduira par une réduction de l’activité, mais surtout par une augmentation du chômage.

Depuis la rentrée en septembre, les actifs risqués sont repartis à la baisse, et les taux souverains ont à nouveau intégré une politique monétaire très restrictive, qui cette fois pourrait durer toute l’année 2023.

Taux Souverains Globaux à 10 ans (en %)

Japon
États-Unis
Royaume-Uni
Zone euro

Source : Refinitiv Datastream

Du côté obligataire, le resserrement des politiques monétaires et l’inflation donnent également du fil à retordre aux investisseurs puisque 2022 s’avère être la pire année connue depuis plusieurs décennies.

En été, les taux avaient fortement chuté en raison des espoirs relatifs à un changement de ton de politique monétaire, mais comme mentionné plus haut, cet espoir a été rapidement balayé par les banquiers centraux qui ont été clairs sur le caractère restrictif de la politique monétaire qu’ils souhaitent mener. Ainsi, le taux américain à 10 ans a grimpé jusqu’à 4 % et son homologue allemand jusqu’à 2,20 %.

Aykut Efe
Economist & Strategist
Spuerkeess Asset Management

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